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Ma vie romanesque

mercredi 23 mars 2011

Présent, passé, littérature

Lorsque j'ai commencé mes études d'histoire, je savais déjà que je voulais en savoir plus sur le Moyen âge (ne me demandez pas pourquoi, s'il vous plaît, il se trouve que je n'en sais rien), mais je n'imaginais pas tous les horizons que cette époque pouvait m'ouvrir.
Etudier le passé, c'est avant tout étudier une société humaine, plus ou moins proche de nous, mais avec qui nous partageons les fondamentaux de l'espèce : même cœur, même cerveau. Seule la culture est différente. Aussi, je n'ai jamais pu considérer que, parce qu'il s'étaient passés il y a longtemps, les drames vécus au Moyen âge étaient moins importants que ceux que nous vivons de nos jours. Le "oui, mais ils n'étaient pas comme nous à l'époque", qui nous protège bien souvent, est une véritable ineptie. La souffrance des humains face à la mort est la même, au moins depuis le néolithique. Je laisse les périodes antérieures aux préhistoriens.
L'étude du passé, par rapport au présent, a cet avantage que vous savez "la fin de l'histoire". Elle a cet inconvénient que vous ne pouvez poser beaucoup de questions aux protagonistes : les grand écarts que les historiens sont obligés de faire tiennent souvent du numéro de cirque.
Pour ma part, je suis restée longtemps avec cette question : comment l'Occident dans son entier s'est-il relevé de la peste de 1348 ? Pour mémoire, la maladie, que l'on n'avait pas vue depuis un millénaire en Europe (mais qui subsistait de façon endémique en Orient), a déferlé entre 1347 et 1349, emportant, selon les estimations, entre un tiers et la moitié de la population occidentale. Entre un tiers et la moitié ! Pouvez-vous imaginer un désastre pareil ? Un traumatisme d'une telle ampleur ? Quelques lieux seuls sont relativement épargnés, comme des villages isolés, dans les montagnes. En 1361, ils seront frappés à leur tour, et verront les morts s'empiler, grands petits, vieux, jeunes, avec une préférence, toutefois, pour les enfants "de l'espoir", nés après la première peste.
L'histoire nous donne les chiffres. Les cadres. la chronologie. Moi, c'est à ce point que j'ai eu besoin de la littérature. Placer des personnages deux ans après la seconde peste, ancrer en eux ce rapport à la vie, à la mort, à la fragilité de l'existence. Et tenter de comprendre, par le récit, la façon dont on se relève, dont on continue à vivre, à aimer, à donner la vie à son tour, malgré le deuil, la souffrance.
La peste n'est pas le sujet de mes romans. Mais elle est toujours là, présente, en arrière-plan, comme une ombre prête à glacer, terrifier, désespérer. Forçant à avancer, aussi.
Les survivants des villes japonaises dévastées par le tsunami vont devoir vivre le même genre de deuil. Reconstruire leur vie parmi les fantômes, s'épauler pour porter ensemble le deuil. Cela ne les aidera certainement pas de savoir que d'autres humains, à d'autres époques, ont vécu des tragédies similaires. Dans l'épouvante des premiers jours, des premières semaines, rien ne compte, rien ne console. Mais quand les larmes auront séché, ils pourront apprendre que, sur le champ de ruines laissé par la peste, les médiévaux ont réinventé leur existence, laissant plus de place à la vie ici-bas, délaissant la transcendance pour la beauté, inventant le bonheur. La société qu'ils mirent en place n'était pas parfaite (en existe-t-il seulement ?), mais au moins correspondait-elle davantage à leurs souhaits. Puissent les Japonais être portés par le même élan que les médiévaux des XIVe et XVe siècles.
Il peut, parfois, être utile de connaître "la fin de l'histoire".

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